Article AFP – 25/06/2018

L’immobilier a beau être un secteur conservateur, il a ses startups: mais si des tentatives fleurissent à tous les maillons, du BTP aux agences, elles peinent à imprimer un mouvement d’ampleur en France.

“En France, quand on cherche un appartement, c’est largement sur le Bon Coin… Ca m’étonne qu’il n’y ait pas eu plus de startups qui se sont créées pour aller lui faire concurrence: on peut faire tellement mieux avec la technologie qu’on a !”, s’étonne auprès de l’AFP Emilie Elice-Label, cofondatrice de la startup américaine FrontDoor.

Mme Elice-Label, dont l’entreprise propose aux agents immobiliers d’évaluer l’intérêt de leurs potentiels clients à partir des informations laissés par ces derniers, était de passage tout récemment à Paris pour la première édition d’un salon organisé sur les nouvelles technologies par le marché international des professionnels de l’immobilier (Mipim).

Ce salon est sans commune mesure avec son grand frère généraliste, rendez-vous annuel du secteur à Cannes: alors que plus de 20.000 professionnels étaient présents en mars dans le sud de la France, seules 1.500 personnes étaient attendues la semaine dernière à Paris.

“L’immobilier investit peu dans les technologies par rapport à d’autres secteurs”, reconnaît auprès de l’AFP Cyril Aulagnon, fondateur du cabinet de conseil spécialisé Stonup. “Il n’y a pas de foncière qui investit plus de 0,25% de son chiffre d’affaires dans les nouvelles technologies.”

Signe du caractère embryonnaire de la tendance, son nom ne fait même pas consensus. Alors que l’on parle communément de “fintech” pour les startups financières, l’immobilier hésite entre “proptech” – terme retenu par le Mipim – et “real estech”, référence à “property” et “real estate” qui peuvent chacun désigner le secteur en anglais.

Le spectre est large. Parmi les startups présentes au Mipim de Paris, certaines s’adressent aux promoteurs comme Vectuel, qui propose de visualiser des projets en 3D, certaines aux grands propriétaires comme Deepki, qui compile les données de parcs immobiliers pour limiter les charges et les dépenses d’énergie, tandis que d’autres facilitent numériquement les démarches juridiques des notaires et des agents immobiliers, telles MyNotary et Legalife.

C’est un autre secteur qui fait figure de précurseur, le BTP, qui recourt de plus en plus au “building information modeling” (BIM): il s’apparente à une maquette numérique en trois dimensions qui peut servir de test pendant tout le cycle de construction, voire au-delà.

Timides levées de fonds

“La construction est assez en avance sur le sujet: les gros promoteurs ne se passent plus de maquettes numériques. C’est beaucoup plus simple de numériser quand ça n’existe pas encore…”, admet Clémence Michel, responsable de la communication chez Deepki.

Deepki, qui compte parmi ses clients des foncières comme Icade ou des grands groupes comme l’opérateur de télécoms Orange, a levé pour l’heure 2,5 millions d’euros et ne “communique pas” sur sa rentabilité.

La somme est plutôt élevée pour un groupe français. Ils sont rares à avoir dépasser les 10 millions, comme le spécialiste du “BIM” Finalcad, ou Habiteo, qui propose de visiter des logements en 3D.

C’est très loin de groupes américains qui ont dépassé les 100 millions d’euros, voire les 500 comme le site d’annonces immobilières Compass ou le californien Opendoor, qui vise à ubériser les agents immobiliers.

“Ceci complique les perspectives des centaines de startups timidement financées à base d’enveloppes d’un ou deux millions d’euros”, souligne une analyse des Echos Etudes. “Les grandes multinationales françaises de l’industrie immobilière (…) y allouent des moyens insuffisants.”

Les observateurs évoquent plusieurs pistes pour expliquer ces difficultés. Mme Elice-Label remarque que l’immobilier français manque d’une base de données unifiée comme celle des agents américains, tandis que M. Aulagnon souligne qu’il est difficile de s’étendre à grande échelle vu les différences de fiscalité et de réglementation entre pays européens.

Quant à l’avenir, certains acteurs traditionnels du marché restent sceptiques au-delà du début actuel d’effervescence.

“C’est toujours très brillant sur le papier mais (…) de nombreux modèles arrivent sur le marché sans être aboutis et capotent”, juge auprès de l’AFP Benjamin Nicaise, qui a participé à sa propre révolution technologique, celle de la fin des années 1990, en créant la plateforme d’investissements immobiliers Cerenicimo et dirige son groupe depuis plus de vingt ans.

“Dans notre métier la révolution numérique, c’est très très long”, conclut-il.